MESENTENTES ENTRE FRERES GNASSINGBE: le retour des vieux démons ?

Publié le par guissguiss

L’attaque perpétrée la nuit de dimanche à lundi contre le domicile de Kpatcha Gnassingbé, à Lomé, vient étaler au grand jour ce que beaucoup savaient in petto, mais que tous s’efforçaient de garder secret : la lourde et tenace rivalité qui sévit entre les deux frères Gnassingbé.

Depuis la mort de l’ex-président Eyadéma, Kpatcha et Faure, tous enfants du défunt, ont entretenu des relations tendues, le premier se réclamant l’unique et digne héritier du fauteuil présidentiel de son père. Mais à présent que l’on est passé à l’usage des armes, un nouveau palier est sans doute franchi et il est légitime de se poser un certain nombre de questions : quelle sera la réaction des autres membres du clan Gnassingbé ? Quelle attitude sera celle des partisans de Kpatcha dans son fief de Kara ? Pour qui se prononcera le désormais célèbre RPT (Rassemblement du peuple togolais), parti au pouvoir, et quelle position sera celle de l’armée, toujours décisive dans des cas du genre ?

Autant d’interrogations qui méritent d’être posées et ce d’autant que nul n’ignore comment ces dissensions exacerbées entre frères ennemis peuvent rejaillir nécessairement sur la vie politique du Togo et, partant, influer sur l’avenir du pays tout entier. Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs, puisque l’histoire de ce pays dès après les indépendances, s’imbrique tellement dans celle de la famille Gnassingbé qu’il est même jusqu’à présent quasi impossible de réfléchir à l’une sans vraiment penser à l’autre.

Et c’est bien la raison pour laquelle il est plus qu’impérieux d’éteindre ce feu qui gagne la maison Gnassingbé. Car si celle-ci devait se consumer, ce ne serait pas seulement le clan présidentiel qui en périrait, mais bien plus, tout le pays qui en serait détruit. Alors, quel négociateur, et comment procéder ? Le médiateur Blaise Compaoré avait eu la délicate mission d’amener les adversaires politiques togolais à concilier leurs vues, pour se retrouver autour d’un essentiel consenti de part et d’autre, autour de questions bien précises, pour une sortie de crise. A supposer qu’on lui remette entre les mains ce dossier nouveau et autrement plus brûlant, il lui faudra user d’une diplomatie d’un tout autre genre, car le problème, avant d’être politique, est d’abord familial.

La conjonction des deux aspects ne rend la question que plus délicate et difficile d’approche. Une autre possibilité serait de confier le problème togolais à la CEDEAO. Il faudrait alors qu’elle s’implique hic et nunc, sans tarder, et sans tergiverser. Le tragique exemple du défunt Nino Vieira de Guinée Bissau qui a lancé un SOS désespéré et qui est mort sans avoir reçu le moindre secours, est encore vivace dans tous les esprits. De plus, on sait combien les points de non-retour conduisent le plus souvent à des furies dévastatrices. Et au regard de ce qui se passa au Togo peu après la mort d’Eyadéma, ce n’est sans doute pas exagérer les faits que de dire qu’il peut y avoir péril en la demeure.

Mais on peut se demander aussi si cette guerre fratricide désormais ouverte sonne le retour des vieux démons dont on pensait à juste titre que le Togo s’était définitivement débarrassé. Car, voilà un pays qui, après avoir souffert de la dictature d’Eyadéma, dut endurer les effets dévastateurs de sévères embargos qui paralysèrent son économie, de longues années durant, au point de se retrouver quasiment à genoux, et qui, ô miracle, recommençait à renaître, lentement, mais sûrement, retrouvait la confiance des institutions internationales, des bailleurs et investisseurs étrangers. Et c’est bien ce moment de remontée de la pente que choisit la famille présidentielle pour se pourfendre, se lyncher et s’entre-déchirer. Si ce n’est pas du gâchis, ça y ressemble.

Les raisons de toutes les colères étant essentiellement d’origine familiale, les haines qui en résultent n’en sont que plus féroces, exacerbées sans doute aussi par des questions tribales et d’appartenance géographique à l’intérieur du pays. Il est de notoriété publique qu’au Togo, la difficile question des clivages entre ceux du Nord et ceux du Sud est séculaire et loin d’être une chimère. Comment, alors, peut-on envisager le point d’aboutissement de cette guerre ouverte entre consanguins ? Kpatcha peut-il se laisser arrêter ? Le président Faure va-t-il se raviser et faire machine arrière ? Le lien est-il définitivement rompu entre les deux frères ? L’avenir sans doute le dira. Mais, en tout état de cause, aucun clan, aucune famille ne peut s’arroger le droit de prendre en otage l’avenir de toute une nation.

A l’heure actuelle, les Gnassingbé ont l’obligation de retrouver le bon esprit, ne serait-ce que pour la sauvegarde de leur propre cohésion. Une famille si profondément désunie porte en elle-même les germes de sa propre destruction. Et puis, "le linge sale se lave en famille", conseille l’adage populaire. Si le clan Gnassingbé le refuse, elle s’expose à un dénouement sanglant de ce bras de fer fratricide déjà malheureusement engagé.

Et bien au-delà de la famille présidentielle, c’est bien le Togo tout entier qui y perdrait et sa crédibilité et même sa stabilité. Autant dire un retour à la case départ. Et ce serait bien dommage pour tous, y compris les habitants de la sous-région pour qui le port de Lomé est un important point d’attraction.

Publié dans Politique

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